En tant qu'Entreprise à mission, Kéa a décidé de contribuer à sa manière aux grands sujets économiques & sociétaux et propose un décodage inédit.
Chères lectrices et chers lecteurs,
En cette semaine de deuil autour du décès de Bernard Pivot, les associés de Kéa soignent leur orthographe pour vous relater les faits suivants :
Amour du vertige
Et si l'Europe était à nouveau saisie par la grande peur de la Chute ? Dans une tribune parue cette semaine, le politiste Yvan Krastev dépeint une Europe cherchant davantage le vide sous ses pieds que les conquêtes à venir. Façonné par cinq crises en quinze ans (environnementale, financière, migratoire, sanitaire, géopolitique), le peuple européen se partage entre deux « rébellions contre l’extinction » qui trustent le débat public : extinction de la vie sur Terre pour les uns, extinction de nos modes de viepar le grand remplacement pour les autres. Avec à la clé une forme de conservatisme de ce qui est et peut encore être sauvé, aveugle aux périls à nos portes. Yvan Krastev nous exhorte à sortir de ce vertige qui, comme le soulignait Milan Kundera, n'est pas la peur de tomber mais le troublant désir du vide – à ne pas être cet homme qui se suicide parce qu'il craint la mort. De l’anatomie d’une chute.
Y’a pas d’UE dans le gaz (russe)
Deux ans après la mise en place de mesures de riposte à la crise du gaz russe, les chiffres ne laissent que peu de doute sur le virage pris par l’Union Européenne en matièreénergétique. Si les importations du fameux gaz russe n’ont pas totalement cessé, elles sont passées de 150 à 43 Mds de mètres cubes entre 2021 et 2023 : le sevrage est accompli. Nos sources d’approvisionnement se sont en parallèle diversifiées, les Etats-Unis s’étant taillé la part du lion (pour le meilleur et pour le pire ?). Last but not least, les énergies renouvelables atteignent 44 % du mix électrique en 2023 et l’éolien y supplante le gaz pour la première fois. Dans ce panorama émerge un grand gagnant : le nucléaire, autrefois abhorré, aujourd’hui prôné – à tel point que, le 25 avril dernier, le Président Macron a appelé à « construire l’Europe de l’atome ». Et un défi encore plus grand : celui d’une énergie moins chère, maillon indispensable de la non moins indispensable compétitivité des industries européennes. Tiens, l’EPR sort de terre. Le gaz russe atomisé pour toujours ?
Les comptes de Perrow
Changer de lunettes pour voir le monde nous permet d'envisager des régulations inédites pour la protection du climat. Si l'anthropocène, « ère des humains » ouverte par l’industrialisation et son cortège de mutations, est largement identifiée, elle est indissociable de ce que trois chercheurs français nomment l’organocène : une ère des organisations – de la production, du travail, de la vie – dont le sociologue américain Charles Perrow disait qu’elles avaient « absorbé la société ». Les politiques climatiques ne devraient donc pas seulement proposer des solutions technologiques et individuelles (Eteignez la lumière !), mais aussi repenser les modèles organisationnels qui les sous-tendent. Force est d’ailleurs de constater que l’organocène n’est plus tout à fait un impensé du débat public : régulation des chaînes de valeur, tribunes en faveur de la réforme des règles comptables et du système de formation des prix, initiatives de représentation de la Nature dans les instances de gouvernance… On y pense, on y vient, nous y sommes. 1 pour tous et tous pour 1 !
L’Union de Letta
Aggiornamento décisif pour une Renaissance économique européenne ou bel canto ? Le rapport Letta fait débat. L’ancien président du Conseil des ministres italien Enrico Letta y appelle à des réformes en profondeur pour que l’Europe ne se limite pas à une fabrique de normes, mais devienne une puissance réelle, dans les actes et dans toute l’économie. Au menu des réformes proposées : simplification et harmonisation du cadre réglementaire, redirection des outils de politique économique vers une transition « équitable, verte et numérique » et surtout, élargissement du marché unique aux secteurs stratégiques de l’Union. Avec au passage l’objectif affiché de remobiliser les 300 milliards d’euros d’épargne sortant chaque année de l’UE. Un doute persiste cependant : ce rapport se heurtera-t-il une nouvelle fois aux dures lois de l’opinion publique européenne et des relations entre Etats membres ? Et, marché unique ou pas, les investisseurs iront-ils ailleurs que là où les rendements sont les plus élevés, l’UE pâlissant encore sous cette lumière ? Epreuve du feu, le succès du rapport résidera dans la capacité des dirigeants européens à se l’approprier. Let it beat.
Et cette semaine en Europe
Peace and vote
Les électeurs catalans ont voulu cette semaine remettre de l’ordre dans le chaos politique à l’œuvre en Catalogne depuis quelques années. En 2017, Carles Puigdemont, alors président de la région, devient ennemi public n°1 en organisant un référendum illégal sur l’indépendance. Destitution par l’Etat espagnol, fuite en Belgique, ce roi-là ne sera pas arrêté à Varenne et attisera, depuis son exil, les ferveurs indépendantistes. Pour préparer les élections de 2024, il fait même campagne en France, revanchard ! Mais dimanche, ultime rebondissement : les électeurs mettent en échec les partis indépendantistes qui perdent leur majorité au parlement, avec 15 sièges en moins par rapport à 2021. Le Parti Socialiste, qui jouait « le dialogue et le pardon », sort quant à lui gagnant des élections et devrait reprendre le manche malgré l’absence de majorité absolue, en s’alliant avec d’autres forces de gauche. Et si l’apaisement devenait un programme politique ? Europe should take the hint.
Bonne lecture, Les associés de Kéa
Vous appréciez ce bulletin ? N'hésitez pas à le partager autour de vous.
Rédacteurs en chef : Chloé Secnazi, Romain Thievenaz
Rédacteurs : Jean Gaboriau, Pierre Girard, Mathieu Noguès
Secrétaires de rédaction : Marie Guilbart, Carine Lesigne, Irène Miquel
Ont collaboré à ce numéro : Pierre Chrétien, Sophie Combes, Thibaut Cournarie, Oualid Essaid, Tom Jacques, Stéphanie Nadjarian, Yves Pizay, Paul Puechbroussou
Directrice de la diffusion : Iliana Ohleyer
1er cabinet de conseil européen "société à mission", le Groupe Kéa est reconnu pour apporter aux dirigeants des solutions créatives et trouver les modèles qui feront l'économie de demain. Sa raison d'être : entreprendre les transformations pour une économie souhaitable.