En tant qu'Entreprise à mission, Kéa a décidé de contribuer à sa manière aux grands sujets économiques & sociétaux et propose un décodage inédit.
Chères lectrices et chers lecteurs,
En cette semaine de fin de tension entre le gouvernement et les agriculteurs, les associés de Kéa saluent la concorde et décryptent les faits suivants :
Symphonie pastorale
La formule chiraquienne « Nous sommes tous des paysans ! » a-t-elle encore un sens ? Si le mot de l’ancien Président, adepte fervent des limousines de la Porte de Versailles, avait fait sourire en 1999, le plus urbain Premier ministre Attal réaffirme lui aussi la place particulière et symbolique des agriculteurs dans l’identité française – alors même qu’ils ne représentent désormais plus que 1,5 % des actifs. Et pour cause, les derniers paysans ont mille raisons d'être en colère. Débordés par des normes fluctuantes, soumis aux pressions contradictoires de la grande distribution et des industriels et sommés d’obéir aux impératifs climatiques, ils travaillent 55 heures par semaine pour un revenu souvent dérisoire. Leur statut d’exception semble se perdre, à l’heure d’une économie tournée vers les services et la technologie numérique, et d’une transition écologique qui les bouscule. Les épreuves de la vie (au sens de Rosanvallon) des agriculteurs nourrissent un puissant sentiment d’injustice et de mépris sur lequel soufflent, partout en Europe, les conservateurs et l'extrême droite. Il est donc normal et juste de comprendre la colère de ceux qui nous nourrissent. Et d’œuvrer pour qu’une agriculture renouvelée et compatible avec la transition écologique ne soit pas un oxymore (telle Karine Lemarchand sur un rond-point).
Y’a-t-il un juge dans l’avion ?
La lutte contre la crise climatique se jouera-t-elle pour les entreprises dans les cours de justice ? Alors que certaines entreprises s’y retrouvent accusées d’inaction, d'autres prennent les devants pour tenter de réduire leur responsabilité. Dernier exemple en date : ExxonMobil poursuit en justice une partie de ses actionnaires activistes, leur reprochant de placer l’environnement au-dessus de la valeur économique. Ces activistes ont en effet proposé le vote de mesures contraignantes visant à intégrer les émissions des clients dans le calcul des émissions carbone de l’entreprise, alors qu’elle s’est engagée à parvenir au net 0.
Mais juger ces nouveaux conflits n'est pas chose simple et nos sociétés vont devoir s'armer : une nouvelle chambre spéciale de la cour d’appel de Paris a ainsi été ouverte pour traiter du devoir de vigilance (devoir qu’ont les entreprises de s’assurer du respect de leurs parties prenantes externes : sous-traitants, clients, environnement, etc.). Celle-ci devra acquérir une compétence juridique pour juger l'inaction climatique et placer le curseur de la responsabilité au bon niveau. Or, quand la crise climatique prend l’ascenseur, la justice prend l’escalier.
Trump II : Americanexit
Trump promet un Brexit américain encore plus déstabilisant pour le reste du monde que l'a été son modèle britannique… et souffle sur les peurs des Européens. Adam Posen (président du think tank Peterson Institute) nous rappelle qu’il faut l’écouter « littéralement et sérieusement », comme tous les autocrates ! En effet, Trump projette, dès le jour de son élection, de généraliser une hausse de 10 % des droits de douane et de mettre en œuvre des mesures agressives anti-migrants. Trump voudrait être le « dictateur d'un jour pour (construire) un mur et forer ! Forer ! Forer ! ». Il veut restreindre l'Inflation Reduction Act qu’il juge « étatiste et socialiste », accuse la Fed de baisser ses taux pour favoriser le candidat Joe Biden et prône des baisses d'impôts… alors qu’il a déjà un déficit budgétaire de 7 %. L'isolationnisme est une tendance longue de l'histoire américaine, même sous cette forme échevelée. 80 ans après, America goes home.
Le physique de l'Emploi
Le Président Macron parviendra-t-il à rester dans l’histoire comme le président duplein emploi, là où tant d’autres ont échoué avant lui ? Jusqu’à présent, son bilan est positif. Si la croissance a clairement contribué à cette réussite, l’OFCE met néanmoins en avant l’effet des mesures prises par l’Etat à la suite de la Covid : développement de l’apprentissage (250 000 emplois créés), aides aux entreprises et maintien à flot d’entreprises non-viables (300 000 emplois). Lecoût réel du travail a par ailleurs baissé (130 000 emplois), la durée du travail par employé également, invitant les entreprises à recruter pour produire autant (160 000 emplois). Enfin, il y a la partie « que l’on n’explique pas » (480 000 emplois), mais qui constitue l’essentiel des créations d’emploi dans l’industrie et la construction : télétravail ? Absentéisme ? Difficultés d’approvisionnement ? Quoi qu’il en soit, le contexte a changé et Jean Pisany-Ferry nous alerte sur le besoin de traiter les problèmes « de fond » – compétences, attractivité, facilitation de la rencontre entre offre et demande de travail – pour relancer la productivité de la France, quitte à repousser l’objectif de plein-emploi à moyen terme. Pas sûr que cela colle avec la ligne du parti. Ces économistes manquent décidément de discipline !
Europa Politicus
Alors que la carte européenne apparaît comme la seule viable sur un nombre croissant de sujets (transition énergétique, défense, industrie, etc.) la crise des agriculteurs nous rappelle le reproche régulièrement fait à l’UE : elle légifèrerait loin des gens. Or, une loi, pour être acceptée, doit être « vécue » politiquement, c’est à dire débattue, projetée, voire contestée. En bref, un objet de parole politique. De ce point de vue, un hiatus frappe la loi européenne. Celle-ci, rappelons-le, prévaut sur la loi nationale : elle fait l’objet d’un processus juridique et non pas politique. Cela nourrit le ressentiment et encourage des tactiques politiciennes, ce qui n’est pas un moindre mal. Conclusion : il faudrait responsabiliser les acteurs politiques nationaux pour qu’ils ne fassent pas leur beurre sur le dos de l’Europe (ce qui n’est pas gagné) et/ou avoir un Parlement Européen plus engagé en politique (et de manière plus audible). C’est peut-être difficile à entendre à l’heure du retour de la souveraineté, malgré les efforts déployés par la présidente Ursula von der Leyen. Les résultats des élections européennes à venir et en particulier le score des extrêmes nous diront peut-être si le citoyen européen est mûr pour une telle révolution. Et le député européen disposé à se tenir « à portée de baffes ». Ouille !
Bonne lecture,
Les associés de Kéa
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Rédacteurs : Hervé Baculard, Jean Gaboriau, Pierre Girard, Mathieu Noguès, Chloé Secnazi
Secrétaires de rédaction : Marie Guilbart, Wendy Röltgen
ont collaboré à ce numéro : Thibaut Cournarie, Alexis Heuls, Stéphanie Nadjarian, Yves Pizay, Romain Thievenaz, Benjamin Toison
Directrice de la diffusion : Iliana Ohleyer
NB : Ce bulletin est rédigé par les équipes Kéa
1er cabinet de conseil européen "société à mission", le Groupe Kea est reconnu pour apporter aux dirigeants des solutions créatives et trouver les modèles qui feront l'économie de demain. Sa raison d'être : entreprendre les transformations pour une économie souhaitable